Usagers de drogues en contexte COVID-19 : recommandations pour la médecine générale

Publié le

Usagers de drogues en contexte COVID-19 :

recommandations pour la médecine générale Lou Richelle, médecin généraliste et doctorante en sciences médicales au DMG-ULB 14 avril 2020

Les usagers de drogues sont particulièrement vulnérables en cette période. Hormis le fait qu’ils font face aux mêmes risques que la population générale, ils sont confrontés à des risques additionnels liés à certains modes de vie et à la prévalence élevée de comorbidités psychiatriques et physiques retrouvées chez ce public. 
Plusieurs niveaux de risque ont été identifiés : les risques inhérents au public des usagers de drogues (individuel et collectif), à l’agent pathogène (COVID 19), à l’adaptation au contexte actuel et aux médications associées. 
Risques inhérents au public : Risques individuels : points d’attention : 
1. Prévalence élevée de facteurs de risque de développer une forme sévère tels : o Tabagisme chronique (« heavy smokers ») et BPCO o Consommation de toute substance par voie respiratoire (inhalation/fumette/vapotage) o Immunité abaissée surtout chez public injecteur (HIV, hépatocarcinome secondaire à hépatites B et C, cirrhose alcoolique, malnutrition associée, …) 2. Consommation de substances à caractère social → risque de non-respect du « social distancing » et de contamination via le partage de matériel et produits 3. Stigmatisation et marginalisation d’un certain public d’usagers de drogues constituant une barrière à la promotion de mesures de Réduction des Risques (mesures d’hygiène et liés aux produits) et à l’accès aux dispositifs de soins 
Risques collectifs L’échange de matériel par le partage de matériel d’inhalation, vapotage, fumette peut augmenter le risque d’infection et jouer un rôle dans la propagation du virus. 
La circulation du public en rue, les barrières à l’accès à des services socio-sanitaires et d’hébergement ainsi que la difficulté d’isoler les usagers qui seraient suspects d’être infectés par le covid-19 sont des éléments qui augmentent la propagation du virus. 
A l’inverse dans le milieu carcéral, la promiscuité, les conditions de détention et sanitaires des détenus sont également des sources de propagation importante. 
Risque inhérent au virus COVID-19 Le risque d’overdose (avec issue fatale) est accru chez les usagers d’opioïdes atteints d’une pneumonie à covid-19. Ce dernier peut aggraver également la dépression respiratoire de certaines drogues comme l’alcool et les benzodiazépines. 
Il est important d’avoir en tête que certains symptômes d’un sevrage de substances peuvent faire penser à une infection par le covid-19 (fièvre, difficultés respiratoires, myalgies, troubles digestifs, …). 


Risques liés à l’adaptation au contexte actuel La situation actuelle ne permet pas pour un certain public de trouver les ressources financières auxquelles il a recours habituellement (mendicité, prostitution, travail au noir, etc…) ce qui le précarise d’autant plus et limite ses possibilités de consommation. 
De plus, avec le confinement, l’accès aux produits est difficile, en résultent une quantité et une qualité moindres également (attention aux produits de coupe et à leur nocivité !). 
En prenant en compte que les heures et le fonctionnement des services auxquels ils ont recours habituellement (qu’ils soient consommateurs actifs ou en traitement de substitution) : comptoir d’échange de seringues, pharmacies, centres dédiés aux assuétudes, cabinets médicaux, etc…fonctionnent à régime réduit. 
Rajouté à cela le fait que la situation est particulièrement anxiogène et stressante pour un public déjà fort fragilisé psychiquement (rem : sensibilité au stress augmentée en cas de pathologie mentale associée). 
Tout cela peut mener à des diminutions importantes voire à des sevrages forcés de produits et de traitement, à des demandes de traitement faute de produits ainsi qu’à des rechutes et des surconsommations de traitement ou de substances (en particulier l’alcool). Le confinement augmente également les consommations solitaires qui sont à risque d’overdoses avec issue fatale. 
Pour finir, il faudra anticiper à la sortie du confinement des overdoses par re-consommation des doses usuellement consommées pour lesquelles les usagers ne seraient plus habitués et faire de la prévention. 
Risques liés aux médicaments Il existe des ruptures de certains médicaments dans les pharmacies, il faut donc pouvoir anticiper et s’adapter. 
Il est important de rappeler également le risque d’allongement du QT et de torsade de pointe des traitements Covid-19 à l’essai en hospitalier (hydroxychloroquine et azithromycine) qui risquent de majorer les risques arythmogènes déjà existants pour des drogues illicites (cocaïne, amphétamine) et des médicaments telle la méthadone et de nombreux antidépresseurs et neuroleptiques. 
Conclusions Sur bases de ces constats et de la littérature, il est recommandé : 
- De rappeler les règles de base concernant la prévention du Covid-19, les mesures de Réduction des Risques et de communiquer aux patients qu’ils appartiennent à une population à risque - De délivrer des prescriptions de traitement de substitution avec une couverture plus longue - De travailler en collaboration avec son pharmacien et de bien informer les usagers de l’adaptation du cadre de travail - De ne pas laisser un usager qui aurait besoin d’un traitement de substitution sans rien en cette période et de référer, si vous ne disposez pas des conditions d’accueil et de protection nécessaires, vers des centres de référence (cf contacts utiles) - D’assurer un soutien psychosocial de quelque manière que ce soit pour cette population particulièrement fragile en cette période (notamment via des consultations téléphoniques) - De bien sensibiliser les patients et d’informer les services hospitaliers des produits consommés et de la prise de substances arythmogènes 

Contacts utiles 
• Questions cliniques aux professionnels du secteur assuétudes o Hotline « assuétudes » : ligne d’appui aux professionnels de santé bruxellois : 02.227.52.52 • Questions pour rediriger une nouvelle demande de traitement o Bruxelles : Réseau d’aide aux Toxicomanes (RAT asbl)→ www.ratasbl.be, 02.534.87.41, rat.asbl@gmail.com o Wallonie : Réseau Alto→ www.reseaualto.be, 0479.64.49.72, reseau.alto@gmail.com Il s’agit de réseaux de MG qui vous dirigeront vers les personnes appropriées et pourront vous soutenir/superviser dans vos prises en charge • Questions générales sur le fonctionnement et la disponibilité des services en cette période o Bruxelles : Fedito Bxl→ www.feditobxl.be, 025141260 o Wallonie : Fedito Wallonne, 042222652, www.feditowallonne.be/ DAWA→ 061.22.50.60, dawasbl@gmail.com • Actualité, informations scientifiques, de Réduction des Risques et brochure patients Covid-19 o Fedito Bxl, Eurotox, Modus Vivendi 
NB : Lignes téléphoniques pour urgences sociales (Bruxelles : 0800.352.43, Wallonie : 1718), soutien psychologique (02.501.01.27) et pour les violences conjugales (0800.30.30) 

Références 1. Brooks SK, Webster RK, Smith LE et al. (2020). The psychological impact of quarantine and how to reduce it : rapid review of the evidence. The Lancet, 395(10227),912-920 2. CEIP-A (2020) : Hydroxychloroquine (Plaquenil®) et substances psychoactives : message à l’attention des usagers de drogues et aux patients sous traitements psychoactifs, Centre d’addictovigilance de Paris, France 3. EMCDDA (2020). The implication of COVID-19 for people who use drugs (PWUD) and drug service providers. European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction. Portugal : Lisbon 4. EUROTOX (2020). Covid -19 et réduction des risques. Observation socio-épidémiologique alcool-drogues en Wallonie et à Bruxelles 5. INPUD (2020). COVID-19 Crisis : Harm reduction resources for people who use drugs. International Network of people who use drugs 6. MILDECA (2020). COVID-19, tabac, alcool et drogues : risques et précautions. Mission ministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives, France 7. NIS (2020). COVID-19 (2020) : Potential Implications for Individuals with Substance Use Disorders. National Institute of Drug Abuse 8. UNODC (2020). Suggestions about treatment, care and rehabilitation of people with drug use disorder in the context of the COVID-19 pandemic. United Nations of Drugs and Crime 9. SCIENSANO (2020) Analyse des conséquences de la crise du COVID-19 pour les centres de traitement spécialisés et les institutions en contact avec les personnes qui utilisent des drogues. Programme Drogues – Epidémiologie et santé publique. Publication du 09/04/2020 10. The Liverpool Drug Interaction Group : https://www.covid19-druginteractions.org/ 11. Volkow ND (2020). Collission of the COVID-19 and Addiction Epidemics. Annals of Internal Medicine. 12. Yale Program in Addiction Medicine (2020). Guidance for people who use substances on COVID-19 (Novel Coronavirus). 13. Yao H, Chen JH & Xu Y-F (2020). Patients with mental health disorders in the COVID_19 epidemic. The Lancet Psychiatry, 7(4), e21

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